Notre structure corporelle est notre grille de lecture du monde. L’assouplir donne de nouvelles perspectives.
Par Manuel GASTAMBIDE *
Les émotions n’occupent pas que notre mental. Elles vivent dans le corps, s’y propagent comme des ondes à la surface de l’eau, et parfois s’y inscrivent durablement. A force d’emprunter telle ou telle voie dans nos tissus, elles dessinent des chemins, tracent des autoroutes que peu à peu on privilégie, au détriment de sentiers à l’abandon. En circulant dans notre corps, les émotions nous structurent. Et leurs empreintes vont finalement nous conditionner dans notre façon de ressentir le monde et de vivre la relation.
Comme une corde de violon, qui vibre différemment selon sa tension, nos tissus, qu’ils soient peau, muscle, fascia ou os, laissent courir les émotions ou au contraire les bloquent. Un traumatisme, une frustration, une incompréhension ?… et voilà qu’apparaît une retenue dans le corps, un obstacle que la vibration émotionnelle ne pourra plus franchir naturellement. Un moment de bonheur, une vague émotionnelle plus douce, un sens donné à une souffrance d’autrefois ?… et c’est tout un champs oublié de soi-même qui est réinvesti et qui s’ouvre à la vibration, à la sensation.
« Chaque tension musculaire contient l’histoire et la signification de son origine » constatait déjà Wilhelm Reich. Le massage – c’est son aspect découvrant – permet d’interroger sans mots les origines émotionnelles de chaque blocage énergétique, d’amener la personne à prendre conscience de ses déséquilibres, de ses raideurs, de ses trous dans le corps, de ses ruptures, pour en comprendre le sens. Il peut aussi – par son côté recouvrant – refermer les blessures symboliques, relier les parties d’un corps éclaté, reconstruire, unifier, harmoniser.
La relation silencieuse qui s’instaure à travers le toucher n’est pas neutre. Elle est intime et réciproque : lorsqu’on est touché, on touche en même temps. La qualité de toucher s’inscrit dans l’histoire de chacun. Comment a-t-on été touché et embrassé ? Avec qu’elle sérénité ou au contraire quelle appréhension, ressentie inconsciemment, a-t-on été caressé, soigné, coiffé, nettoyé et porté dans notre enfance ? De cette histoire tactile, il reste une façon bien à soi de toucher et de se laisser toucher, de s’ouvrir ou de se fermer au contact de l’autre. Ces ouvertures, ces fermetures, comme les émotions non résolues du passé, sont inscrites dans la structure du corps. Le massage va les mettre en évidence en révélant aux doigts du praticien les blocages et les fuites d’énergie, mais aussi les parties déjà fluides sur lesquelles il va pouvoir s’appuyer.
Pour la personne qui reçoit le massage, les blocages seront ressentis comme des douleurs, des tensions, des zones sans vie. En laissant un espace d’écoute aux perturbations – et pour autant que la relation de confiance se soit instaurée entre le masseur et le receveur – elles vont se mettre à « parler ». Elles vont raconter le pourquoi de leur origine, les souffrances qu’elles renferment et les raisons pour lesquelles elles n’ont pu s’en défaire. Après l’expression de ce trop plein de souffrance, qui peut se faire par la parole mais aussi par des mouvements spontanés de libération ou par des larmes, des cris, des rires, vient le moment de l’apaisement : la perturbation se transforme en courrant régulier, simplement parce qu’elle a pu dire son existence.
Article paru dans l’ouvrage : BEGUIN Richard, NOGRETTE Catherine, Je prends ma vie en main, Formes et forme.
* Manuel GASTAMBIDE est directeur de l’Ecole du massage intuitif et somatothérapeute à Lille.