La peau est un organe déterminant dans le développement du comportement humain. Elle agit comme un récepteur sensoriel qui enregistre et répond au contact et à la sensation du toucher. Chaque sensation correspond à un message humain fondamental, et ce, presque dès l’instant de la naissance. Le stimulus de la sensation brute du toucher est vital pour la survie de l’organisme. En ce sens, on peut poser comme postulat que le besoin de sensation tactile devrait être ajouté à la liste des besoins organiques pour tous les vertébrés, et même pour les invertébrés.
Les besoins fondamentaux, définis comme des aspirations qui doivent être satisfaites pour que l’organisme survive, sont les besoins d’oxygène, de liquide, de nourriture, de repos, d’activité, de sommeil, les besoins d’élimination urinaire et fécale, l’aptitude à fuir le danger et à éviter la douleur. On peut remarquer que la sexualité ne fait pas partie des besoins fondamentaux, étant donné que la survie de l’organisme n’est pas soumise à la satisfaction de ce besoin. Il n’y a que quelques espèces qui ont besoin de satisfaire leurs pulsions sexuelles pour pouvoir survivre. Quoi qu’il en soit, les observations ont incontestablement prouvé qu’aucun organisme ne saurait survivre très longtemps sans stimulation cutanée d’origine externe.
Il est clair que les stimulations cutanées sont nécessaire à la survie de l’organisme. Et pourtant, cette constatation élémentaire ne semble pas vraiment reconnue. Le toucher, la forme de stimulation tactile à laquelle nous nous sommes particulièrement attachés est très importante en tant que stimulation cutanée. Par toucher, nous entendons le contact satisfaisant d’une autre peau ou la sensation satisfaisante de la sienne propre. Le toucher peut se faire en caressant, en cajolant, en tenant dans les bras, en frappant ou en tapotant avec le doigt ou avec la main, il peut aller d’un simple attouchement corporel à la stimulation tactile totale dans l’acte sexuel.
Il existe des différences de culture à culture dans la manière d’exprimer le besoin de stimulation tactile et de le satisfaire. Mais le besoin lui-même est universel et partout le même, même si la façon dont il est réalisé peut varier selon le lieu et l’époque.
Les observations suggèrent qu’un plaisir tactile satisfait pendant la petite enfance et pendant l’enfance est fondamental pour le développement ultérieur vers un comportement équilibré de l’individu. Les résultats d’expériences ou de recherches sur les animaux et aussi les observations sur les hommes montrent que la frustration tactile au début de la vie du bébé aboutit a des anomalies du comportement dans sa vie adulte. Aussi importantes que soient ces données théoriques, ce sont leurs implications pratiques qui nous intéressent ici. En un mot, comment ces découvertes peuvent-elles contribuer à l’amélioration de l’équilibre des êtres humains?
Il devrait être évident que, pour le développement de la personne, la stimulation tactile doit commencer dès la naissance. L’enfant qui vient de naître doit aussitôt être mis dans les bras de sa mère et rester allongé près d’elle aussi longtemps qu’elle le désire. Il doit être mis au sein dès que possible. Il ne faut pas le placer dans un berceau ni l’emmener dans une « pouponnière « . On devrait rétablir et généraliser le berceau traditionnel qui est le meilleur substitut qu’on ait pu inventer et le meilleur auxiliaire au bercement dans les bras de la mère. Il est difficile de trop cajoler un bébé une personne sensée et raisonnable ne surexcitera probablement pas un bébé; mais si l’on hésite entre les deux attitudes, autant faire trop de caresses que pas assez.
Au lieu d’utiliser une poussette, il vaut mieux que le père ou la mère porte l’enfant sur le dos dans un support équivalent au parka esquimau ou à la maïda chinoise. On doit éviter de cesser trop brusquement toutes ces cajoleries. Et nous recommandons aux parents, dans les sociétés occidentales et au États-Unis en particulier, d’être plus démonstratifs entre eux et avec leurs enfants qu’ils ne l’ont été par le passé.
Ce n’est pas tant les mots que les gestes qui transmettent les émotions et l’affections dont enfants et parents ont en réalité grand besoin. Les sensations tactiles acquièrent une signification associée aux situations dans lesquelles elles sont éprouvées. Lorsque le toucher transmet l’affection et l’émotion qu’il implique, ces sensations sécurisantes et leurs significations resteront associées au toucher. Mais quelqu’un qui n’aurait pas eu une expérience tactile satisfaisante dans l’enfance serait privé de ces associations et aurait en conséquence des difficultés à établir des relations avec les autres. D’où l’importance du toucher pour l’homme.
Source: Ashley Montagu : » La peau et le toucher. » 1971 ©